Black Atlantic est un week-end de programmation publique où les participants sont invités à réfléchir à la mesure dans laquelle l'équité raciale et l'inclusion peuvent servir de tactiques créatives pour imaginer un avenir planétaire juste et durable, ici et maintenant. Le week-end sera une célébration de ces tactiques dans toute leur diversité et combinera des événements gratuits ainsi que ce programme payant au Market Hall de Devonport.
Le 25 novembre au KARST, la journée débutera par un atelier de l'éducatrice Tanisha Hicks-Beresford sur la joie comme stratégie décoloniale. S'ensuivront des conversations avec les artistes Sylvie Sema Glissant et Angela Camacho avec Jelena Sofronijevic ( podcast EMPIRE LINES ) sur leurs contributions à Against Apartheid .
Le programme se déplace ensuite au Market Hall de Devonport, à partir de 15 heures avec Musical Passage , une jam session ouverte et gratuite dirigée par les professeurs de jazz Tomorrow's Warriors et impliquant des jeunes de tout le Devon et de Cornwall.
Le programme payant débute à 17h avec une présentation liminaire de Françoise Vergès marquant le 30e anniversaire du livre fondateur de Paul Gilroy, The Black Atlantic ; des chansons interprétées par la chanteuse Angeline Morrison reflétant la présence des Noirs britanniques dans la musique folk anglaise au fil des siècles ; une conversation avec le célèbre théoricien décolonial Paul Gilroy et Jelena Sofronijevic ( podcast EMPIRE LINES ) ; et les 50 ans de hip-hop de DJ Yoda .
Planetary Imagination, une installation d'Ashish Ghadiali initialement commandée par The Box, sera diffusée en boucle à l'intérieur du dôme immersif du Market Hall tout au long de la soirée.
Tout au long de la journée, la nourriture de l'équipe de Jabulani sera en vente et disponible au KARST de 12h à 14h puis au Market Hall à partir de 17h.
Le dimanche 26 novembre, la matinée commencera par un atelier d'écoute profonde animé par Ximena Alarcón-Díaz du Centre d'écoute profonde à 10h00 sur les marches Mayflower. Les participants prendront ensuite part à A Silent Walk en suivant un parcours conçu par des membres de l' Open City Night School et se termineront au Peace Garden sur Plymouth Hoe, où les débats du week-end se termineront vers midi.
Black Atlantic fait partie d' Open City , une saison d'art décolonial et de programmation publique organisée par Radical Ecology jusqu'à l'automne 2023 avec des partenaires du sud-ouest de l'Angleterre et dans le contexte de l'exposition Against Apartheid au KARST.
PROGRAMME DÉTAILLÉ SUR LE SITE DE RADICAL ECOLOGY
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L’écriture réapparue des Rongo Rongo
par Sylvie Glissant
« L’acte poétique est un élément de connaissance du réel »
Édouard Glissant, Traité du Tout-monde11 Édouard Glissant, Traité du Tout-monde, Paris, Gallimard, 1997, p. 187.
L’imaginaire des langues se loge dans l’acte poétique du parler.
Il est ce par quoi l’on a accès à ce qui a été oublié dans la transmission de nos histoires.
L’acte poétique met en œuvre l’imaginaire de la langue, ce qu’elle porte, ce dont nous sommes les héritiers, ce que l’on sait, sans le savoir.
Les signes du Rongo Rongo de l’Île de Pâques, ne sont pas l’écriture d’une langue disparue, ils sont le tracé des gestes qui ont précédé la langue, les gestes de ceux qui se sont rencontrés et ont établi relation. Ces gestes portent toujours leur regard invisible, ils sont les gestes d’une apparition : l’évènement d’une Relation, devenue fondation d’une nouvelle humanité, qu’il nous faut regarder à présent.
L’universel est ce tracé de gestes et de paroles qui ne cesse de se dérouler pour nous. Il nous relie, nous relate, nous relaie.
L’idée d’une « vision prophétique du passé » qu’Édouard Glissant met en œuvre dans l’acte poétique, a littéralement pris corps, pour moi, lors du voyage que j’ai fait sur l’Île de Pâques en 2006, et qui a donné naissance à ce livre qui a pour titre La Terre magnétique. Les errances de Rapa Nui, l’Île de Pâques (Éditions du Seuil). En effet, Édouard m’avait demandé d’y aller à sa place, afin de pouvoir écrire un livre sur l’Île de Pâques qu’il avait toujours rêvé de connaître un jour. Je devais donc en quelque sorte être ses yeux et son témoin, rassembler pour lui tous les éléments et tous les matériaux possibles à partir desquels il écrirait.
Il était fasciné par les énigmes de cette île et une part de cette fascination trouvait sa source dans les récits qu’en avait rapporté l’anthropologue Alfred Métraux. De plus, Saint-John Perse en avait fait affleurer dans ses poèmes des visions cachées22 Voir à ce sujet le N° 4 (à paraître) de la revue La nouvelle anabase.. Ces lectures, auxquelles s’ajoutaient tous les éléments mystérieux de l’île, avaient fait naître chez Édouard Glissant le pressentiment qu’une « liaison magnétique » le reliait à cette terre bordée d’eau située aux confins de l’autre bord du monde. Le fait que ce soit une île, d’abord, suffisait à établir une relation imaginaire. Et puis, il y avait ces statues anthropomorphes immenses, corps massifs que l’on appelle « Moaï », ces pétroglyphes d’un autre temps, cette écriture des Rongo Rongo dont le sens a disparu, cette pierre sacrée dite « nombril du monde » dont la matière est introuvable sur l’île. C’était là autant de traces inscrites dans le paysage de l’île qui signifiaient. Que nous disaient-elles ? Comment et pourquoi nous parlaient-elles encore aujourd’hui ?
Immédiatement, j’avais été fascinée par ces signes Rongo Rongo dont réellement on avait retrouvé quelques tablettes de bois sur lesquelles ils avaient été gravés, comme un système crypté et dont on avait perdu le sens. On en retrouve aussi les glyphes, comme « tatoués » sur les roches qui affleurent dans de nombreux endroits de l’île.
Ces signes me paraissaient alors être devenu comme l’immatériau énigmatique d’une parole perdue, qui semblait irradier d’une impérieuse nécessité, celle de retrouver une « présence » originelle, la permanence même de notre langage.
La disparition du sens d’un récit ou d’une écriture précipite souvent vers l’énigme de l’événement de son apparition. Les poètes ont ainsi parfois la vision d’un poème primordial, de la première marque, celle née de la fusion, d’une rencontre, celle qui donna sens, qui ne fit plus seulement « signe », symbole ou représentation mais qui manifesta une résonnance, celle de ces « courants de consciences33 Selon l’expression d’Édouard Glissant dans Le Discours antillais. » qui refirent le peuple de l’Île de Pâques. Ce peuple a subi l’anéantissement, l’esclavage, et jusqu’à la disparition totale même du sens de sa langue et de son écriture, de ses formes gravées jusque dans les profondeurs des grottes sous-marines, ainsi que l’effacement de ses grands témoins que représentaient les sculptures de pierre que sont les Moaïs, eux aussi secrètement tatoués, qui ont perdu leurs yeux et qui semblent aujourd’hui appeler ceux qui viendront leurs rendre le regard et la « vision » :
« Les Moaïs ne voient plus les courants éoliens ni les courants marins. Peut-être les humanités de Rapa Nui veulent-elles signifier que ce sont elles qui envisagent le monde désormais, elles ont payé pour cela le prix de la réduction à l’élémentaire et de l’abandon de l’absolu, mais elles regardent pourtant avec les yeux perdus de leurs anciens Moaï, des yeux qui sont en elles, oui c’est là, en elles, qu’ils se sont réfugiés, et vous aurez beau faire vous ne les trouvez pas. Non plus que vous n’approchez ce mystère44 La terre magnétique, op. cit., p. 64.. »
J’ai prélevé l’aube désabusée
Aux harangues du fleuve
Tu m’avais dit...
La mer se dérobe
Sous la liane d’eau
Tu monteras
dans la neuve
frondaison vert...
Bleue
Aux vents amers
(115 X 70, Gravure sur eau-forte aplats d’encre en monotype. © Sylvie Séma Glissant, 2021)
Et ils virent se déposer la lumière de poussière
(115 X 70, Gravure sur eau-forte aplats d’encre en monotype. © Sylvie Séma Glissant, 2021)
Désinscryption
(115 X 70, Gravure sur eau-forte aplats d’encre en monotype. © Sylvie Séma Glissant, 2021)
Éléments de langage, ou Comment la poussière se fit lumière
(50 X 45, Gravure eau-forte, aplats d’encre en monotype. © Sylvie Séma Glissant, 2021)
Désinscryption
Sylvie Sema Glissant
Exposition de juillet 2021
L'exposition monographique
de Sylvie Séma-Glissant, en
juillet 2021 à Paris, Galerie 100ECS.